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Chronique 40 - Coronavirus : le "Tchernobyl français"... ! ? Chute de 5,8% du PIB français au 1er trimestre 2020, alors que l';Espagne baisse de 5,2%, la zone Euro de 3,8% et l'Union européenne de 3,5% : 

la crise sanitaire démontre les limites du système politico-administratif français. Ce grand dévoilement pourrait bien constituer une apocalypse positive d'un État inefficace appelé à renaître sous une autre forme.

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Crise sanitaire, mais aussi crise de gouvernance

Les pays les plus riches et les moins endettés sont ceux qui ne confinent pas et comptent le moins de morts (voir graphique). A l'inverse, les pays les moins riches et les plus endettés sont ceux qui confinent le plus et recensent le plus de décès. La performance économique et budgétaire va de pair avec la performance sanitaire... !

Le confinement strict n'est donc pas seulement un mode de gestion de la crise sanitaire, mais surtout le reflet d'un mode de gouvernance contre performant. C'est l'articulation des pouvoirs et contrepouvoirs qui est en jeu. Au centre, les possibilités d'intervention du citoyen qui engendrent son degré d'adhésion aux décisions publiques et sa culture de responsabilité intellectuelle.

L'Etat et la crise sanitaire : impuissant avant, pendant, après

Si elle avait envisagé la crise, la France ne s'y était pas préparée : pas de stocks de masques, ni de tests, peu de respirateurs, cinq fois moins de lits de réanimation par habitant qu'en Allemagne.

Gestion aléatoire, désordonnée et coûteuse de la crise, amplifiée par une communication erronée, voire fautive : pas de fermeture des frontières, pas d'annulation des élections, affirmations des Ministres Ndiaye, Buzyn et Véran de l'inutilité du port du masque et de l'observation de distance sociale (gestes barrières pourtant déclarés indispensables par le corps médical), mesure de confinement extrême et tardif, rejet à priori par Paris du traitement marseillais du Professeur Raoult qui méritait au moins le bénéfice du doute (au début, puis son déploiement généralisé ensuite), décisions gigantesques et essentielles prises en tout petits comités au Palais de l'Elysée et non soumises au Parlement (prise en charge du chômage technique pour près de la moitié des salariés du secteur privé, sauvetage d'Air France malgré de graves difficultés avant la crise...).

Sortie de crise ambiguë, à la va-vite et à l'esbroufe franco-française habituelle : déconfinement tardif le 11 mai (soit après les jours fériés propices aux manifestations de masse), annoncé un mois à l'avance sans justification du calendrier (fixé le 13 avril, avant l'atteinte du pic de décès et donc sans visibilité), comptage aléatoire des décès (la surmortalité pourrait s'avérer in fine bien pire que l'annonce des chiffres officiels quotidiens), vote dans l'urgence du plan de déconfinement, sans laisser de temps au débat parlementaire.

La France en décrochage

L'impact économique négatif, déjà accru pour la France par une moindre aptitude à prévoir, prévenir et gérer les difficultés sera boosté par la défiance générale de chacun envers tous : l'hexagone a plus plongé que ses voisins référents et remontera moins vite qu'eux.

De surcroit, au manque d'anticipation de l'appareil public, à la faible réactivité des décideurs et à l'absence de processus démocratique va maintenant s'ajouter la rigidité du corps social (appel à un nouvel impôt « Covid » alors que les entreprises ne peuvent déjà pas payer leurs impôts et charges, versement de primes exceptionnelles alors que l'Etat n'a plus d'argent) et se traduire par une conflictualité multiple : violences physiques dans les territoires pauvres ou à forte immigration, reprise des revendications de gilets multicolores, judiciarisation des relations dans le monde du travail.

L'Etat et la France en échec

Car la difficulté habituelle de la France à se projeter dans le futur avec pragmatisme est ancrée. Comme Jean-Louis Bianco l'affirma avant une coupe du monde de rugby finalement désastreuse pour les tricolores, « la France va gagner, parce que c'est la France », le récent ministre de la santé, Olivier Véran, s'autorisa le 18 février un facile mais un peu court et surtout finalement erroné « La France est prête car nous avons un système de santé extrêmement solide ». Cette culture du panache ne se résume pas à la crise sanitaire ni à ce gouvernement.

Le Syndrome Cyrano nous fait vivre la Grande Vadrouille permanente depuis longtemps comme le montre cette première et non exhaustive liste d'échecs français transformés dans l'inconscient collectif en victoire dans de nombreux domaines :

  • Militaire - La France pense avoir gagné les deux dernières guerres contre les Allemands alors qu'elle les aurait perdus en un mois sans ses alliés.
  • Territorial - La France compte 633 000 km² depuis 1962 alors qu'elle s'étendait sur 12,4 millions de km² jusqu'en 1940 : elle a donc récemment perdu près de 90 % de son territoire.
  • Technique - Le Concorde, le Plan Calcul, Bull, le Minitel, le Be-bop : autant de projets qui ont fait la fierté française avant de faire faillite malgré de grands renforts de fonds publics.
  • Informatique - Qui parle encore du logiciel français quand les grands éditeurs (bien plus profitables que les installateurs) sont les Américains Oracle, IBM, Microsoft, Facebook, Google et les Allemands SAP ?
  • Économique - Certes, des groupes français figurent parmi les plus grands mondiaux, mais neuf de nos dix plus grandes entreprises ont été contrôlées un certain temps par l'Etat et ne créent plus d'emplois depuis longtemps. Ils sont l'arbre qui cache la forêt des PME dynamiques mais qui ne parviennent pas à se développer hors du giron de l'Etat (1), passage obligé pour croître, y compris dans le secteur privé. Pour preuve, la très faible présence d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) dans le maillage économique, contrairement à l'Allemagne et à l'Italie qui en comptent trois fois plus. Rappelons aussi le gouffre d'Areva aux contours juridiques suspects, la cession énigmatique et problématique en termes d'indépendance militaire d'Alstom aux Américains, la prise de pouvoir progressive et résolue des Allemands dans Airbus, les engagements de la Caisse des dépôts dans des activités qui n'ont rien de stratégique comme la Compagnie des Alpes, qui gère les domaines skiables plutôt que des projets innovants clés pour l'indépendance nationale et créateurs d'emplois et de valeur.
  • Budgétaire - Alors que nous étions à parité d'endettement à 60 % du PIB avec l'Allemagne en 2008, notre voisin s'est amélioré à 57% tandis que nous sommes descendus à 100% en 2019. De plus, notre budget primaire est déficitaire, c'est-à-dire que nous empruntons pour payer les intérêts de la dette publique contrairement à l'Italie...et même à la Grèce !
  • Emploi et richesse des français - Malgré une proportion élevée de fonctionnaires, le chômage reste entre 8 et 9% quand il est descendu chez nos voisins entre 3 et 5%. La croissance est en berne au regard de l'Allemagne qui nous prend près d'un point de PIB / habitant par an depuis la crise de 2008. La France, qui s'annonce et se vit comme un pays riche, ne se range pourtant plus qu'au vingt-neuvième rang mondial en termes de PIB par habitant selon le FMI.
  • Education nationale - Les filières professionnelles et d'apprentissage souffrent d'un déficit d'image, alors qu'elles sont sources d'employabilité, d'éveil et de carrières à succès en Allemagne et en Suisse ; les élèves sont souvent orientés dans des parcours universitaires qui sont des impasses en termes de perspectives d'emploi. Les ministres eux-mêmes n'adhèrent pas à la qualité de l'enseignement public, qui inscrivent souvent leurs enfants dans des écoles privées.

La France décrochée de l'Allemagne

Le manque de souplesse, de réactivité et de pragmatisme récurrent et en tous domaines se traduit par un affaissement progressif de la France qui se trouve désormais dans le camp des derniers de la classe en Europe avec l'Italie, l'Espagne le Portugal, tandis que l'Allemagne a pris son envol et domine l'Union avec l'Europe du Nord. Le moteur franco-allemand n'est plus une réalité. Le réactiver suppose d'assumer les spécificités des talents, la répartition des rôles au sein du couple :

  • Les Allemands sont des artisans, travailleurs ingénieux et pragmatiques, qui visent le geste technique parfait et l'améliorent chaque jour,
  • Les Français sont des penseurs qui accouchent des idées nouvelles révolutionnaires. Ils doivent redevenir les transformateurs innovants qu'ils furent. Ils produisirent en effet les grandes ruptures politiques structurantes de l'histoire de l'Europe : ils ont créé et fait disparaître les États pontificaux et le Saint empire romain germanique ; à Versailles, ils ont donné à la fois le lieu de naissance et le lieu de mort du deuxième Reich ; ils ont donné l'impulsion indispensable à l'unification de la péninsule Italienne ; ils ont été le déclencheur de la Magna Carta, clé du système politique britannique ; ils ont tendu la main à l'Allemagne pour créer l'Europe moderne. Voilà pourquoi l'émergence de leur vision de la France, de l'Europe et du Monde est attendue : il leur faut maintenant poser un grand dessein et réunir les conditions de sa réalisation.

Le modèle français actuel en bout de course

La racine profonde de la crise multidimensionnelle (sanitaire, économique, financière, sociale...) produite par le Covid-19 devient visible par le peuple français : le centralisme parisien qui concentre les pouvoirs dans les mains de quelques-uns à la tête de l'État parait n'avoir plus prise sur la société en bouleversements accélérés dans tous les domaines techniques, géologiques, énergétiques, migratoires, médiatiques, sociaux, économiques... Ainsi, le Coronavirus est-il un double déclencheur de la transformation du système public français : à l'impasse budgétaire s'ajoute la mémoire du verbatim des contradictions, erreurs et échecs récents et anciens.

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Dans cette situation de défiance aigue, le statut quo ne sera pas possible encore bien longtemps. Nombre de dirigeants français pensent que la faible tradition démocratique de l'hexagone n'autorise d'autres choix que de renforcer encore le pouvoir central pour qu'il puisse mieux imposer les remèdes. Mais, expertise technique et maîtrise de la transformation sociale ne vont pas de pair.

 

Instaurer la participation structurelle
pour construire la responsabilité culturelle

L'autre solution consiste à optimiser les rouages démocratiques pour impliquer enfin toutes les personnes dans la réflexion collective. Cette dynamique doit être à la fois hyper structurée et hyper souple, adaptable à chaque terrain, relier le général au particulier, les enjeux personnels aux enjeux professionnels et sociétaux. Le débat public pourra alors viser à distribuer et agréger la parole de la diversité des citoyens, contribuables, usagers dans la cité ; le mode managérial pourra faire de même dans l'entreprise avec l'expression des salariés, clients, fournisseurs et actionnaires ; idem dans les cellules familiales et amicales pour traiter à égalité les femmes et les hommes, mais aussi les aînés trop souvent laissés à l'écart et les jeunes trop souvent traités comme des rois ; ainsi aussi à l'école, pour instaurer un processus pédagogique basé sur le questionnement, le développement de l'esprit critique et l'étude tout au long de la vie.

Alors, nous pourrons rendre chaque français responsable de tous les français, chaque européen responsable de tous les européens et chaque personne responsable de toutes les personnes.

Mais, la capacité à construire un raisonnement partagé repose sur le pilotage précis d'une démarche démocratique minutieuse porteuse de deux vertus complémentaires : pédagogie à grande échelle et innovation utile à tous. Sortir de cette crise sanitaire par le haut est donc possible à deux conditions : il faut vouloir s'engager dans cette voie d'un dialogue vrai à tous les étages et savoir impliquer tout le monde dans la con004struction d'un monde meilleur. Cela suppose une posture humaniste et la maîtrise affûtée de la dialectique sociale, sociétale et citoyenne décrite dans le tome II du Discours de la méthode.

Il est temps de passer du registre de l'affirmation non démontrée et peu démontrable de type « nous avons le plus beau pays, nous avons le meilleur système de santé, le meilleur système de protection sociale » à celui de la démocratie citoyenne appliquée avec courage, compétence et humilité dans toutes nos relations et sur tous les sujets.

Le changement, c'est maintenant !

L'explosion nucléaire de Tchernobyl a aussi été l'explosion de la vérité sur le système soviétique. Survenue le 26 avril 1986, elle a démasqué les mensonges de l'Etat communiste et a provoqué sa dissolution le 26 décembre 1991, laquelle a ouvert la voie d'une Russie nouvelle. En France, le calamiteux épisode du Covid-19 ne se terminera pas avec le virus : c'est un point de bascule vers la généralisation de la conscience des limites de l'Etat et la nécessité de réinventer un système public, universitaire, social et économique français bien plus ouvert, transparent, juste et dans lequel l'ascenseur social sera réactivé pour donner sa place à chacun au profit de tous. Plus on tarde, plus dur et violent sera le réveil et plus long et pénible sera le redressement.

 

(1) L'Etat français a dominé certains épisodes de tout ou partie de l'histoire de Total, BNP-Paribas, Sanofi, Axa, Société générale, EDF, Orange et Vinci. Quant à l'Oréal, André Bettencourt, l'époux de la principale actionnaire a été parlementaire de 1951 à 1995 - soit 44 ans - et Ministre sous les présidences de René Coty, Charles de Gaulle et Georges Pompidou : il était la main de l'Etat dans l'entreprise. Seul LVMH a fait son chemin sans passer par un contrôle de l'Etat.

 

Chronique du 04/05/2020 La Tribune

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