Chronique 38 - L’apocalypse selon le Coronavirus : le déclencheur du sursaut démocratique ? Le confinement forcé par le Covid-19 relève pour une part d’un emprisonnement à domicile.
Mais cet isolement est aussi l’occasion d’une prise de recul calme et sereine. Ainsi, comme toute crise (du grec krisys : « Décider »), ce virus nous place dans une situation paradoxale : comme lors de nombreuses décisions, nous sommes à la fois face à un drame et à une opportunité.
Un affaissement ponctuel
Confiné chez eux, certains travailleurs ne travaillent plus, la plupart des voyageurs ne voyagent plus, le consommateur ne consomme plus beaucoup et le spectateur occupe une chaise vide. L’économie est au ralenti et le chômage augmente d’autant. Le PIB pourrait baisser de 5% cette année[1], alors que le maintien de l’emploi suppose une croissance de 1,5%. Le ciseau des finances publiques se ferme : les recettes fiscales et sociales pourraient baisser d’au moins 40 Milliards d’Euros tandis que les dépenses fiscales et sociales pourraient augmenter de plus de quarante milliards. De plus, la crise financière augmente déjà les taux d’intérêts de près de 1% en une semaine. Or, une variation de 1% modifie le poids annuel de la dette de 20 Milliards[2]. Si le plan de sauvegarde de 300 milliards n’était consommé que pour 10%, il pèserait pour 30 milliards sur l’Etat. On voit donc que le déficit public, déjà alarmant en 2019 (90 milliards pour 242 milliards de recettes, soit 35%), va donc s’accroître et pourrait doubler en 2020… Et le taux d’endettement excédera largement 100% du PIB dans les toutes prochaines années. Si la tendance préexistante au Coronavirus était déjà alarmante, il pourrait bien être le déclencheur de pire : l’incapacité de l’Etat à honorer ses engagements.
Un scénario de rupture institutionnelle
Dans l’histoire de France, rappelons que c’est toujours l’incapacité de l’Etat à honorer ses engagements auprès des Français qui engendre sa chute : les citoyens ne se rebellent que si l’Etat ne peut payer ce qu’il leur doit. Or, dans les conditions à venir bientôt, si l’Etat paye pour tous, on ne voit pas bien qui va payer pour lui.
Certes, l’inflation reste un pari possible. Ce seront alors les acteurs qui auront fait l’effort d’économiser qui seront les plus lésés et ceux qui percevront les intérêts les mieux lotis. Mais alors, la colère des gilets jaunes et des retraités déjà en perte de pouvoir d’achat serait accrue.
Si elle se conjuguait avec une mortalité élevée et la perception que les plus hautes autorités de l’Etat avaient été informées de la réalité du risque aigu de pandémie sans en avoir pris la mesure, leur responsabilité deviendrait une culpabilité. Alors, déjà au bord de la faillite depuis des années, l’Etat français pourrait bien basculer.
Un moratoire sur la dette serait inévitable, mais ne suffirait pas : il faudrait l’accompagner d’une transformation institutionnelle. Dans le meilleur scenario, il faudrait un peu de temps pour mettre un œuvre un processus démocratique et républicain qui procède aux évolutions indispensables vers une démocratie plus sophistiquée. En revanche, si le système politique tardait à instaurer des mécanismes participatifs efficaces, le mécontentement croissant amènerait le pire : pris par l’urgence de nouveaux événements, le régime politique céderait à la tentation despotique pour encore concentrer les pouvoirs afin d’imposer des décisions qui s’imposent.
L’annonce du début de la fin du modèle actuel ?
Mais si le Covid-19 pourrait bien être le déclencheur d’une crise française, il n’est pas l’enjeu. En effet, après le Sida, Ebola, le Sras et le H1N1, cette épidémie est la cinquième en quarante ans : la forte probabilité est donc qu’il y en aura une autre avant 2030. Ces crises sanitaires transfrontalières s’ajoutent aux phénomènes mondiaux qui nous rattrapent, dont la contraction de la biodiversité, la flambée des pollutions, l’épuisement des matières premières, l’essor démographique, les flux migratoires ou le réchauffement climatique. Dans chacune de ces multiples dimensions peut survenir un accident qui génère une rupture sur les marchés financiers virtuels qui déstabilise toute la société jusqu’à son affaissement.
Culture de l’immédiateté, du permissif, de l’inconséquence, de jouisseurs
Le défi n’est donc pas tant cette crise que toutes autres qui restent à prévenir et anticiper. Or, tant que l’accident ne se produit pas, tout parait bien aller et tout semble permis :
- Les consommateurs choisissent la meilleure qualité au meilleur prix tout de suite,
- Les actionnaires exigent des dividendes chaque trimestre,
- Les managers attendent des résultats immédiats,
- Les élus caressent les électeurs pour être réélus.
L’absence de lucidité et de courage de tout le monde sur les grands enjeux et le manque de sens généralisés amènent à des aberrations qui semblent ne choquer personne, tous que nous sommes :
- Perdus dans l’espace-temps :
- Traverser la planète pour assister à une réunion ;
- Être avec nos proches et passer notre temps sur nos téléphones à jouer ou interagir avec les acteurs situés à l’autre bout de la planète.
- Gloutons sans conscience du monde vivant, sans compréhension du lien entre la fourche et la fourchette :
- Manger du jambon ou du bifteck sans penser à la vie du cochon ni à celle de la vache et moins encore à l’impact de l’élevage intensif sur la nature ;
- Avoir perdu tout repère saisonnier quant aux fruits, légumes, poissons, oiseaux.
- Myopes de l’utilité sociale, de la relation entre le résultat et la récompense :
- Accorder des logements, subventions ou des fonctions à vie ;
- Rémunérer les étudiants des grandes écoles publiques ;
- Rémunérer sportifs et divertisseurs mille fois mieux que des gens qui rendent des services vitaux ou tout simplement indispensables au bon fonctionnement de la société.
Tous responsables de tout repenser !
Beaucoup de nos certitudes sont incomplètes, voire erronées. Comme le soleil, la vérité nous aveugle tous. Notre société ne discerne pas les signaux d’alerte, ni les idées nouvelles. L’ascenseur social est enrayé et les acteurs les plus vigilants et innovants n’ont pas prise sur les décideurs… Lesquels ne sont plus audibles, pour s’être érigés en exemples, alors même que la perfection et donc l’exemplarité restent inatteignables en pratique. Si les tenants des savoirs et des pouvoirs doivent être les premiers à se reconsidérer pour avoir construit et défendu un monde que beaucoup savaient au bord du précipice, chaque citoyen demeure responsable de toute la cité ! La responsabilité de la situation est collective : l’avenir dépend aussi de la responsabilité collective. Sauf à ce que chacun de nous se comporte en petit dictateur, le triomphe du respect de tous les faits et de toutes les idées passe par l’organisation de la réflexion collective en continu avec ses proches, ses voisins, ses collègues, ses confrères et ses concitoyens. Alors seulement nous pourrons remettre à plat notre compréhension de nous-mêmes, de nos entreprises et de notre société pour tout repenser dans nos différentes sphères :
- Professionnelle : les circuits courts de production, le lien au travail, le télétravail, le management, l’actionnariat salarié.
- Personnelle : tant nos loisirs (vacances, développement personnel, activité physique), que notre bilan énergétique personnel (logement, transports, consommation, alimentation).
- Sociétale : les systèmes politique, social et de justice, d’éducation, d’immigration, d’agriculture, système politique
Projet : méthode
Entrer dans un monde de responsabilité intellectuelle de chaque citoyen suppose de réorganiser nos modes relationnels. Le préalable consiste à transformer nos systèmes de relations entre dirigeants et dirigés dans toutes les salles, à tous les étages, dans tous les immeubles de toutes les sphères, y compris à l’école et dans les médias et les réseaux sociaux.
Le Covid-19 est l’opportunité de forger ensemble un compas moral qui puisse réaligner nos priorités pour inventer tous, main dans la main, de nouvelles pratiques dans tous les domaines. Encore faut-il maîtriser les mécanismes opérationnels d’un vrai dialogue pour ordonner la remise en question de chacun par tous et de tous par chacun. Ce n’est qu’en sortant du chacun pour soi, dans le respect de l’intérêt public, que nous découvrirons ensemble un nouveau monde. Alors, nous sortirons enfin de ce monde actuel devenu fou pour entrer dans sur le terrain des solidarités avec tous les faits et entre toutes les personnes. Alors, nous vivrons une apocalypse du respect mutuel qui nous conduira à écrire ensemble la page blanche de notre histoire future. Alors, le Coronavirus aura été une opportunité qui rendra fiers nos contemporains pour des générations ! Organisons-nous pour imaginer tous ensemble, vite !
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